Un sort trop cruel
Il est presque 23 heures, le Vélodrome est en fusion et les Nantais sont abattus. Fred Da Rocha et Nicolas Savinaud quittent la pelouse côte à côte, le pas lourd, le visage fatigué, le torse défait du maillot qu'ils viennent d'offrir à la poignée des supporters nantais qui ont effectué le lointain voyage sur les bords de la Méditerranée. Nous sommes comme eux, notre tristesse contraste avec les rivières de joie qui inondent les tribunes alentours. Nous pensons que cette élimination respire l'injustice, que la malchance s'acharne sur cette équipe avec une cruauté sans bornes. Nous nous disons aussi, et nous avons peur, que ni Da Rocha, ni Savinaud, ni Nantes ne reverront peut-être le Vélodrome de si tôt. La nuit est encore tiède et nous avons de la glace au cœur.

Nantes a bien joué
Nantes pourtant a bien joué. En première période il a même brillé, fournissant l'un des spectacles les plus accomplis qu'il ait proposés cette saison.

Mais Nantes a perdu. Parce qu'il a raté des occasions, Doudou Diallo notamment. Parce qu'il n'a pas eu de réussite, à l'image de Da Rocha expédiant le ballon sur un montant après moins d'un quart d'heure de jeu. Parce qu'il a commis de naïves erreurs défensives. Parce qu'il n'a toujours pas trouvé le grand gardien susceptible de sauver une équipe en difficulté. L'exemplaire Mickaël Landreau nous manque chaque jour un peu plus, pourvu que samedi soir il n'attise pas davantage encore nos regrets.

Fabien Barthez avait impressionné en février lorsque Nantes était venu chercher à Marseille un 0-0 sans saveur en championnat. Il avait alors réalisé le meilleur match de son crépuscule doré. Albert Emon avait pourtant nuancé les événements mercredi matin en claironnant dans la presse locale : «  ce n'était pas Barthez qui avait arrêté les ballons, c'est nous qui lui avions tiré dessus et je suis sûr que cela ne se reproduira pas deux fois.  »

Le coach marseillais exagérait sans doute, à dessein, il n'empêche qu'il avait en partie raison : depuis son invraisemblable bévue contre Sedan, Fabulous Fab n'impressionne plus personne, surtout pas Ribéry. Il reste le chouchou de son président, qui ne sait pas à qui ou à quoi se raccrocher, il n'est plus décisif .

Sans doute serions-nous moins sévères si son embauche n'avait pas contribué à semer la zizanie dans un groupe qui n'avait pas besoin d'un tel perturbateur, si elle n'avait pas répondu uniquement à la politique de m'as tu vu et de sauve qui peut de Roussillon, à un ultime coup d'esbroufe.

Par le collectif et par le jeu
Roussillon a toujours misé sur les individualités. Mais, piètre connaisseur, mauvais commerçant, il s'est profondément gourré dans ses choix. Et paradoxalement, c'est par le jeu collectif que Nantes a brillé à Marseille. C'est par ses actions construites, par son audace qu'il a longtemps troublé l'OM et qu'il a failli le désarçonner. Les Canaris étaient taillés pour l'exploit, ils ont maîtrisé le ballon, ils l'ont fait courir. Hélas, cent fois hélas, ils ne sont pas parvenus à l'expédier au fond des filets.

Mamadou Diallo aurait pourtant pu faire mouche dès la 1 ère minute. Servi sur un plateau par Da Rocha, il se retrouva face à Carasso. Il tenta sa chance du pied gauche, le gardien marseillais se détendit et repoussa. Durant l'heure et demie qu'il avait passée devant la défense lensoise, le FC Nantes ne s'était pas créé l'autre soir une seule opportunité de cet acabit. Mais mercredi, l'enjeu, une nouvelle finale au stade de France, ne l'avait pas inhibé comme on pouvait le redouter. Au contraire, il s'était décomplexé. Il avait trouvé son assise et ses aises dans une formule en 4-2-3-1, et il se montrait dominateur et inspiré en milieu de terrain. Da Rocha se déplaçait intelligemment et combinait joliment avec son copain Savinaud, Saidou avait découvert un niveau de jeu et de lucidité qu'il avait rarement atteint depuis sa venue. Le Camerounais reste l'une des rares satisfactions du recrutement pourri de l'été dernier.

Da Rocha tire sur un poteau
Savinaud – Da Rocha, ça fonctionnait bien, avons-nous dit, et c'est sur un centre de la droite du premier que le second, en touchant légèrement le ballon, faillit surprendre Carasso. Le gardien marseillais se détendit et repoussa du bout des gants (14è). Les deux anciens de la Maison Jaune ne se le tinrent pas pour dit. A la 22è minute, Savinaud, toujours de la droite, servit Da Rocha qui se retourna et décocha du gauche un shoot qui alla se fracasser sur le montant gauche de la cage marseillaise.

Il nous semble entendre encore le métal résonner, comme le glas de nos belles illusions. Ah si Nantes avait ouvert le score à cet instant !

La défense marseillaise souffrait donc face aux initiatives des Canaris et Zubar en était réduit à commettre des fautes. Tony Chapron le laissa agir impunément trop longtemps, il attendit une énième intervention illicite (sur Diallo, 23è minute) pour se souvenir, enfin, qu'il est payé pour faire respecter le jeu. En fait Zubar aurait déjà dû voir jaune trois minutes plus tôt pour avoir accroché Da Rocha et on peut regretter que Chapron n'ait pas accompli son travail dès cet instant. Comment Zubar s'y serait-il pris ensuite pour stopper Diallo ?

Un ballon perdu, Ribéry marque
Nantes dominait donc assez largement et à part un tir de Niang (12è) et un boulet de Taiwo (18è), tous deux repoussés par Barthez, l'OM avait du mal à se mettre en évidence. Les Phocéens se tenaient toutefois prêts à contrer, c'est un exercice où ils excellent. Maoulida était déjà parti en raid à la 9è minute. Guillon l'avait rattrapé. Lorsqu'il s'échappa de nouveau, à la 27è minute, il aurait dû être hors-jeu. Sauf que Mauro Cetto traînait. Fabien Barthez jaillit hors de sa surface pour éteindre l'incendie. Maoulida l'évita en contrôlant le ballon de la tête et on se dit que le mauvais sort allait frapper. Le but était ouvert. Maoulida préféra donner à Niang sur sa gauche. La cage était toujours béante. Or, Niang s'emmêla les pieds, il foira son shoot et redonna le ballon à Barthez, revenu à toutes pompes.

Le public du Vélodrome apprécia très peu la « plaisanterie », il se mit à siffler. C'était encore tout bon pour Nantes.

Jaouad Zaïri s'était montré plutôt habile jusqu'alors. Il avait feinté, dribblé. Et même effectué des passes. Malheureusement, c'est en tentant un nouveau dribble qu'il perdit inopportunément le ballon au milieu du terrain. Franck Ribéry bondit sur le cuir et sur l'aubaine, il s'avança et il décocha un obus que Barthez, avancé, ne put que voir passer. Ce but n'était pas sans rappeler celui encaissé par Landreau lors de la dernière visite des Canaris au Vélodrome, durant l'automne 2005, même si cette fois la frappe était un poil moins imparable.

Magnifique action nantaise
Il constituait surtout un vrai coup dur, pratiquement un déni de justice. Il n'abattit cependant pas les Nantais qui à la stupéfaction générale demeurèrent les maîtres du jeu jusqu'à la pause. Mamadou Doudou hérita même d'une nouvelle occasion en or dix-huit carats véritable. Il démarra à la limite du hors-jeu et alla s'offrir un nouveau face à face avec Carasso. Du moins essaya-t-il car il fut rejoint par Zubar, lequel le déséquilibra peut-être légèrement, en tout cas, au lieu de frapper, le Malien tomba et l'occasion avorta.

Nantes ne se démonta pas, il persista dans ses louables intentions et juste avant la pause il confectionna l'action la plus séduisante et la plus accomplie de toute la soirée. Guillon renversa le jeu de la gauche vers la droite pour Zairi qui contrôla finement et glissa à Cubilier. Ce dernier centra et Dimitri Payet reprit de volée. C'était réellement superbe. Las, le ballon passa au-dessus de la transversale, Carasso le claquant légèrement ce qui n'empêcha pas l'arbitre d'opter pour un six mètres.

Faites les comptes : un poteau pour Da Rocha, deux occasions « immanquables » pour Diallo, une pour Da Rocha et une pour Payet, et admettez que Nantes n'était vraiment pas verni en étant mené au repos.

Les individualités marseillaises
Le mieux est qu'il entama la seconde période sur la même bonne lancée. Côté marseillais, Albert Emon avait en revanche profité d'une douleur à la cuisse de Ribéry pour adopter une formule plus défensive : il avait fait entrer à sa place M'Bami, un destructeur. Marseille misait clairement sur la prudence, le calcul et le contre. Cette tactique épicière ne mène généralement pas très loin, sauf quand on possède de grosses individualités capables d'influer sur le sort d'une rencontre. Ribéry en est une, il l'avait montré. Nasri en est une autre. A la 56è minute alors que Nantes qui avait bénéficié d'un coup franc était en phase offensive, ses lignes arrières plutôt dégarnies, le néo-international s'offrit une chevauchée sur la droite. Da Rocha ne parvint pas à le remonter et Nasri glissa le ballon à Maoulida dont la reprise, presque à bout portant, fut sans pitié.

De l'espoir
L'OM menait 2-0, le match était terminé. Der Zakarian et N'Doram firent tourner une partie de l'effectif, économisant Payet, Da Rocha puis Diallo. Nantes aura bien besoin de leurs talents au Parc des Princes. En attendant, il lui fallut boire le verre acide de la défaite jusqu'à la lie, par la faute de Cubilier qui va finir par laisser un aussi « bon » souvenir que Viveros. Il adressa une passe en retrait à destination de…Cissé. Ce dernier venait de rentrer, il saisit le cadeau à pleins crampons et il fusilla Barthez en deux temps.

Voilà, il nous restait notre tristesse et nos regrets. Le plaisir aussi d'avoir assisté à un très bon match et d'avoir vu un bon Nantes, et même davantage en première période. Après leur nul contre Lens, les Canaris étaient au bord du précipice. Ils y demeurent aujourd'hui mais alors qu ‘on avait l'impression qu'il suffisait d'une chiquenaude pour qu'ils chutent, on se surprend à espérer maintenant qu'ils s'accrocheront jusqu'au bout.

B.V., le 19 avril 2007